Magazines 2019 Jul - Aug Prendre soin des politiciens en milieu hostile

Prendre soin des politiciens en milieu hostile

03 July 2019 By Preston Pouteaux

Un pasteur et un homme politique ouvrent la voie

Traduit par François Godbout. Ce texte en anglais

C'est autour de la table de notre salle à manger, l'atmosphère encore chaude d’un savoureux repas, que nos deux familles ont fait connaissance. Échanges de blagues et de rires, de récits factuels et d’épopées familiales entre nos deux familles, les McAllister et les Pouteaux, en train de faire la vaisselle puis de passer au salon. Les enfants sont allés jouer et nous avons mis du crumble aux pommes dans des bols à dessert, mais il se passait autre chose.

Je ne le savais pas, mais Bruce McAllister, notre député bien-aimé, était en train de prendre la plus grande décision politique de sa carrière. Assis dans mon salon, en sirotant un thé, Bruce a gardé son secret.

À cette époque, il y a près de cinq ans, je ne connaissais pas suffisamment Bruce pour poser des questions plus profondément personnelles, et il ne me faisait pas encore assez confiance pour y répondre. En tant que leader de la communauté, il était devenu célèbre pour avoir toujours su dire ce qu’il pensait. Mais maintenant qu'il était politicien, il se devait de ne plus montrer toutes ses cartes.  

C'est un poids étrange que nous mettons sur les épaules de nos politiciens lorsque nous leur demandons de prendre de plus en plus de responsabilités et de porter leurs fardeaux seuls. Ce secret était sur le point de tout changer pour lui.

Ces premiers repas en famille et le douloureux périple que Bruce allait entreprendre dans les années qui ont suivi ont forgé entre nous une amitié qui a transcendé les cycles d'information de 24 heures, a survécu aux changements sismiques du gouvernement et nous a finalement ouvert les yeux à une tendance troublante de la politique canadienne.

Nous sommes maintenant fermement convaincus que les politiciens ont besoin de soins autant que n'importe quelle profession dans notre pays. Malheureusement, la plupart des politiciens se trouvent isolés dans une culture polarisante qui les dépersonnalise et les déshumanise.

Bruce a vécu cette expérience de première main en tant que l'une des personnes au centre d'un moment politique crucial dans l'histoire de l'Alberta. Les semaines et les mois qui ont suivi sa décision ont été parmi les plus pénibles de sa vie.

En 2015, deux grands partis exploraient les moyens de se réunir. Un plan a été élaboré et présenté à plusieurs députés afin d'apporter l'unité à une politique fracturée. Si l'objectif de fusionner deux partis était bon, et finalement atteint, le moment et l'approche étaient mal choisis. En une seule journée, neuf membres d'un parti, dont mon ami Bruce, ont traversé le parquet pour en rejoindre un autre. Ce qu'ils espéraient être salué comme une démarche brillante et nécessaire pour s'unir s'est avéré au contraire désastreux. Ces politiciens ont été appelés les « neuf infâmes », des traîtres et pire encore. Un jour, alors que Bruce faisait son jogging avec son chien devant l'église, il est passé devant des graffitis l'appelant « Judas ».

Du statut de représentant adulé à celui de cible du plus répugnant vitriol, Bruce a vécu une expérience politique que peu d'entre nous connaitront. Cette expérience a été dévastatrice et a été en empirant.

Dans les semaines qui ont suivi, les lignes de bataille ont été tracées à la hâte dans notre communauté. Les gens étaient soit contre Bruce, soit pour lui. Les gros titres et les journalistes tournaient en rond comme des vautours prêts à l’affut des ragots. L'incendie s'est propagé jusque chez nous - dans notre propre église, où Bruce et sa famille avaient longtemps été vénérés. Il a été accueilli par des regards à la dérobée et des chuchotements. Il nous a révélé à tous que sous la surface de notre communauté se trouvait une ferveur politique bouillonnante. L'histoire s'est développée au-delà de Bruce - elle a pris beaucoup plus d’envergure.

Bruce se souvient de ces premiers jours et de la façon dont notre relation s'est forgée dans ce maelström politique.

« J'étais profondément blessé et je me souviens d'avoir été assis avec vous dans mon camion, stationné avec vue sur le lac, et d'avoir demandé : "Dieu pourrait-il renverser la situation ? Cela m'a mis à genoux. »

« Mon cœur était pour ma communauté et c’est pour ça que j'ai abandonné ma carrière pour représenter notre communauté en tant que député, mais j'étais brisé et j'ai ressenti un échec. Ce que j'ai vécu était si dur. J'ai dû mettre ma famille à l'abri, j'ai perdu du poids et j'ai porté une anxiété dont je ne pouvais pas me défaire. J'avais l'habitude de lire les nouvelles et puis j'ai découvert que j'étais la nouvelle. Je ne suis pas sûr que quelqu'un puisse se préparer complètement à cela. »

Je ne suis pas un dieu

Nos politiques ont exercé une pression déraisonnable et malsaine sur nos politiciens et nos gouvernements pour qu'ils fournissent plus que ce que tout être humain ou toute institution peut offrir.

Ancien ministre des affaires municipales de l'Alberta, Doug Griffiths a visité presque toutes les petites villes et tous les quartiers de la province. Lorsque je lui ai demandé de me partager son expérience, il m'a répondu : « Il y a vingt ans, il était courant de se présenter à l'église et de demander à Dieu un miracle. Maintenant, nous allons directement au bureau de la ville et nous en demandons un d'ici vendredi. »

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M. Griffiths explique que si les gens avaient l'habitude de se tourner vers l'Église et vers Dieu pour des questions qui dépassaient leur entendement et de chercher des réponses dans la communauté et la prière, aujourd'hui, les politiciens et les gouvernements sont considérés comme la source de toutes les solutions. « Malheureusement, nous avons troqué les hommes d'État qui nous mettent au défi de nous lever et de prendre la responsabilité de construire nos communautés et nos nations contre des politiciens qui promettent de nous aider et de faire plus pour nous », dit-il.

« Cela a créé un sentiment d'impuissance dans le public, qui se tourne vers les dirigeants élus pour résoudre les problèmes sociaux qui les affligent. » M. Griffiths estime qu'il s'agit là d'une nouvelle évolution dangereuse dans notre vie publique car « l’édification d'une communauté véritablement connectée n'est pas du ressort des gouvernements, ni des lois ou des programmes. Elle est le fait de personnes qui se soucient les unes des autres au plus profond d'elles-mêmes et qui s'aident à s'élever les unes les autres. C'est cela, une communauté. Elle ne peut pas être créée par les gouvernements. En fait, elle est inconcevable pour les gouvernements. »  

Aujourd'hui, M. Griffiths dirige une organisation qui aide les communautés à redécouvrir le pouvoir qu'elles ont de transformer leur ville ou leur village. « Construire une communauté est le travail le plus important sur Terre », dit-il.

Lorsque les politiciens ne parviennent pas à se montrer à la hauteur des normes divines pour résoudre tous les problèmes locaux, certaines personnes peuvent réagir avec colère et amertume.

Ils ne méritent ni nos attentes irréalisables ni notre haine alimentée par la rage.

Il s'agit d'un ensemble d'attentes caustiques qui nuisent aux politiciens, aux communautés et au tissu même de notre pays. Les politiciens ne sont pas Dieu, mais ils sont certainement faits à l'image de Dieu. La façon dont nous les traitons devrait refléter ces deux vérités profondes. Ils ne méritent ni nos attentes irréalisables ni notre haine alimentée par la rage. Nous devons établir un nouveau rapport avec nos politiciens. Nous n'avons pas besoin d'exiger davantage d'eux. Au contraire, ils ont besoin de beaucoup plus de notre part.

Beaucoup dépend de nos solides institutions démocratiques et de ceux qui nous représentent. Cette année est aussi bonne que toute autre pour décider de poser un geste d'hospitalité inhabituellement radical à nos dirigeants politiques, à nos parlementaires et à nos fonctionnaires.

Un meilleur dépistage ou de meilleurs soins?

De nombreuses professions exigeantes ont une culture de soins attentifs. Les aumôniers et les pasteurs ont offert des soins pastoraux aux pompiers, à la police, aux soldats, aux athlètes professionnels, aux médecins, aux infirmières et même aux entreprises et à la famille royale. Ces aumôniers sont disponibles parce que le travail, souvent important et difficile, nécessite la présence attentive d'un pasteur. Si une équipe de football considère que les soins pastoraux en dehors du terrain ont une importance pour le travail sur le terrain, on peut alors penser que la prise en charge d'autres rôles vitaux dans notre société vaut bien notre temps et nos efforts.

L'année dernière, un chroniqueur du Toronto Star a écrit sur les manquements moraux dans la vie de deux députés. Le titre du 29 novembre 2018 se lisait : « Les scandales Clement et Grewal montrent certainement que le Canada doit mieux choisir ses députés ». L'article explore la nécessité de s'assurer que les députés sont aptes à accéder à des informations sensibles, et comment nous pourrions mieux savoir quels députés sont à la hauteur de la tâche.

Si certains politiciens sont inaptes à servir dès le départ, de nombreux manquements éthiques des politiciens se produisent dans la marmite à pression de la vie politique. Au lieu de filtrer et d'essayer de prévoir qui résistera à la pression, peut-être devrions-nous offrir un soutien à nos parlementaires pendant qu'ils portent le lourd fardeau de leur travail.

Et si les politiciens confrontés à de grandes décisions politiques, à des défis éthiques, à des fardeaux moraux ou à des pressions complexes étaient capables de trouver les soins de pasteurs qui sont prêts à les accompagner au milieu de leurs expériences les plus difficiles?

Nos politiciens méritent tous les soins que nous pouvons leur prodiguer car le poids qu'ils portent est lié au bien-être de notre pays, de nos provinces, de nos villes et de nos villages. Imaginez un climat politique avec moins de scandales, une meilleure prise de décision, plus de coopération et une attitude saine envers la sagesse. C'est le genre de culture dans laquelle nous, qui sommes appelés à aimer notre prochain, devrions être capables d’instituer.

Dans de nombreux cas, l'Église au Canada a été incapable et mal équipée pour s'occuper des dirigeants politiques qui, à leur tour, se sont sentis incapables ou mal équipés pour demander de l'aide. Notre pays et les personnes qui nous représentent aux niveaux fédéral, provincial et municipal méritent davantage, et l'Église au Canada peut certainement être plus utile à chacun d'entre eux. Nous n'avons peut-être pas besoin d'appeler à un meilleur dépistage - nous devons offrir de meilleurs soins.

Il est intervenu d’en haut

Bruce McAllister et moi avons développé une confiance croissante, et nous plaisantons un peu sur ce lien inhabituel entre un pasteur et un politicien. Il dit que cette simple amitié s'est transformée en quelque chose qui l'a transformé.

« J'ai enlevé le masque, dit Bruce. Je suis maintenant plus à l'aise dans ma peau, pas si facilement offensé ou blessé. Tu m’as aidé à voir que je ne suis pas un raté, à voir le bien que je peux faire quand je ne le vois pas moi-même. Nous passions du temps au bord du lac et tu marchais avec moi, tu étais fier de t'associer à moi quand d'autres ne l'étaient pas. Tu m'as aidé à retrouver la confiance. »

pastorpolitician2.jpgAu Canada, la situation est de plus en plus polarisée par des allégeances changeantes, des questions sociales complexes et la voix omniprésente des médias.

Dieu a rencontré Bruce, et comme beaucoup de bien-aimés de Dieu dans l'histoire du peuple de Dieu, Dieu a sauvé et mis Bruce sur une place solide. C'est le travail que Dieu semble faire, et qu'il fait, dans la vie de ceux qui nous dirigent. C'est notre appel à nous joindre à Lui pour relever nos représentants, et non les démolir.

Nos relations avec nos dirigeants politiques, même en période de fortes opinions et de divisions politiques, en disent long sur ce que nous croyons de la seigneurie de Christ, ainsi que sur l'œuvre rédemptrice et le rôle de Son Église au Canada.

Aujourd'hui, Bruce McAllister dirige une organisation de défense des droits et une entreprise de communication florissantes, qui s'appuient sur ses années au service du public. En regardant en arrière, il offre quelques mots de sagesse à ceux d'entre nous qui se soucient des parlementaires, des législateurs et des politiciens.

  • Reconnaître que les politiciens sont des personnes. Déshumaniser les dirigeants et les représentants ne contribue rien de valable aux importantes questions à débattre dans notre pays et ne respecte pas la valeur inhérente de ceux qui servent dans ces rôles difficiles.
  • Ne pas voter sous le coup de la colère. Surmontez les émotions fortes par un raisonnement clair et convaincant. Il est juste de ne pas être d'accord et de demander des comptes aux politiciens, mais laissez la colère et l'amertume à la porte lorsque c'est possible.
  • Parlez à un politicien en dehors des principaux points de discussion. Parlez des questions qui ne font pas la manchette des journaux et abordez les questions qui vous tiennent à cœur. Vous serez peut-être surpris d'apprendre que votre représentant local peut avoir un aperçu très utile sur des défis uniques, alors écoutez et répondez bien.
  • Permettez à vos représentants politiques locaux d'avoir une vie normale avec leurs familles, en particulier ceux qui ont de jeunes enfants. Respectez l'impact que le service du public a sur les conjoints et les enfants.
  • Les politiciens ont la peau dure, comme il se doit. Mais ils ont aussi besoin d'amis, de collègues, d'églises et de communautés où ils peuvent baisser leur garde, se reposer, pratiquer leur culte et profiter des autres sans crainte. Nous devons faire de nos églises un lieu particulièrement accueillant pour que ceux qui servent le public, quelles que soient leurs allégeances politiques, puissent trouver la paix et le renouveau.

Notre climat politique est de plus en plus polarisé au Canada, les allégeances changent, des questions sociales complexes surgissent et les voix omniprésentes des médias et de Twitter se rivalisent pour façonner nos opinions. C'est dans ce contexte que l'Église du Canada est appelée à faire preuve de sagesse, à avancer à un rythme guidé par l'Esprit et à s'occuper de ses dirigeants de façon de plus en plus profondément intentionnelle.

Au lieu de nous opposer aux politiciens ou de nous efforcer d'influencer leurs votes de manière fonctionnelle et mécanique, nous ferions bien de nous lier d'amitié avec nos dirigeants, d'être des partenaires dignes de confiance qui leur donnent de l'espoir et d'être les voix encourageantes et attentives dont ils ont besoin pour bien nous diriger.

Beaucoup dépend de nos solides institutions démocratiques et de ceux qui nous représentent. Cette année est aussi bonne que toute autre pour décider de poser un geste d'hospitalité inhabituellement radical à nos dirigeants politiques, à nos parlementaires et à nos fonctionnaires.

La vision divine de la politique au Canada se jouera toujours à l'échelle humaine. C'est là que Jésus a changé le monde – une personne à la fois. Notre travail n'est pas à l'échelle des partis, des provinces ou du pays. Notre travail sera toujours à l'échelle d'une personne qui vient en aide à une autre. Le genre de Canada que nous voulons se situe entre deux voisins et, dans mon histoire, entre un pasteur et un homme politique.

Preston Pouteaux est auteur et pasteur de l'Église communautaire Lake Ridge à Chestermere, en Alberta.

CONVERSATIONS FT

Nous pensons que cet article ferait un excellent sujet de discussion pour un petit groupe ou dans le cadre d’une étude biblique. Nous vous encourageons à en faire des copies et à lancer la discussion à l'aide des questions qui suivent. Pour partager électroniquement, il suffit d'indiquer aux membres du groupe l'adresse www.faithtoday.ca/prendre-soin-des-politiciens. Faites-nous savoir comment ça s’est passé!

  1. Preston Pouteaux écrit à propos du « poids étrange » que nous mettons sur les épaules des politiciens. Quelles sont vos attentes à l'égard des dirigeants que nous élisons?
  2. L'article fait allusion à notre culture qui considère que le gouvernement et les politiciens devraient être la « source de toutes les solutions ». Comment voyez-vous le rôle de l'Église pour parler aux communautés et les aider à résoudre leurs problèmes?
  3. Quelle a été votre expérience d'interaction avec des politiciens? Comment cet article pourrait-il influencer vos futures interactions avec eux?

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