Magazines 2016 Jan - Feb Alors et maintenant: Charles Foster et Marc Pilon

Alors et maintenant: Charles Foster et Marc Pilon

28 February 2016 By Alex Newman

Les expériences de Charles Foster et Marc Pilon font ressortir les défis uniques du travail d’évangélisation dans la Belle Province du Canada.

Traduit par François Godbout. La version originale en anglais. Photo de Charles Foster par Jessica Darmanin.

Alors : Charles Foster

Il n’avait fallu que 500 dépliants placés dans des restaurants, autobus et écoles un peu partout dans la ville de Québec pour que trois lignes téléphoniques spécialisées se mettent à bourdonner. C’était en 1965. Le petit dépliant posait une question, citait un verset et donnait un numéro de téléphone à un message préenregistré de 30 secondes présentant un message de l’évangile.

Quelques jours plus tard, Bell Canada devait ajouter sept autres lignes téléphoniques. Quelques semaines plus tard, les circuits téléphoniques surchargés desservant Québec tombaient en panne. Bell affecta plusieurs techniciens de service travaillant jour et nuit pour faire face à la demande.

C’est alors que le procureur général se rendit – dans une limousine noire – à la porte du missionnaire baptiste Charlie Foster pour faire enquête et décider si la littérature qu’il distribuait était séditieuse ou révolutionnaire. Charlie parvint à le rassurer, mais le projet fut suspendu.

M. Foster, maintenant âgé de 90 ans, apprit de cette mission que la province de Québec était affamée de vérité spirituelle.

Plusieurs années auparavant, jeune étudiant idéaliste à l’université de Toronto (U de T), Charlie avait prié Dieu de l’envoyer là ou le besoin évangélique était le plus pressant. Il ne s’attendait aucunement à ce que l’appel vienne du Québec – après tout, dans les années 1940, les champs missionnaires de prédilection étaient l’Afrique et l’Inde.

Mais lors d’une conférence sur l’évangélisme tenue à l’U de T en 1946, Charlie découvrit que le Québec avait moins d’Évangéliques par millier d’habitant que presque partout ailleurs dans le monde. Il lui sembla donc qu’il avait trouvé réponse à sa prière.

Il croit toutefois que Dieu avait commencé à le préparer longtemps avant. Il avait croisé plusieurs Canadiens-français – étudiants et pasteurs – et avait développé « une affinité et une véritable affection pour leur vivacité et leur sociabilité. »

Charlie avait observé – dans la rédaction de sa thèse de séminaire sur l’histoire du Protestantisme au Canada français – « l’absence presque totale de texte de la Bible et l’ignorance de son témoignage tant dans le clergé que la population, » que c’est ce qui avait incité tant d’évangéliques à investir leurs vies au Québec.

Diplômé du McMaster Divinity College en 1950, il accepta un poste d’aumônier à la mission La Grande Ligne, une école chrétienne francophone près de Montréal. Au cours de ses deux premiers étés au Québec, il suivit des cours de français à l’Université Laval.

À son arrivée, en 1950, l’église évangélique était petite. Elle commençait à peine à rayonner, pour la première fois depuis le début du 20e siècle. En 1954, M. Foster était nommé directeur délégué de la mission La Grande Ligne, chargé de superviser 12 petites églises et missions baptistes éparpillées entre la région d’Ottawa et la frontière du Nouveau-Brunswick.

Charlie avait pour tâche de stimuler l’évangélisme et d’encourager les pasteurs à raviver leurs églises par l’Écriture. Ce travail se faisait surtout dans un contexte informel – dans les salles de séjour ou les cuisines – la Bible sur les genoux, par questions et réponses et les témoignages personnels « au sujet de la transformation qui accompagne une nouvelle relation avec Dieu ».

C’est ainsi que Charlie assista à l’implantation de deux nouvelles congrégations à Montréal. Une ayant commencé dans une maison avant de se trouver des locaux plus grands. Aujourd’hui, cette même église a procédé à deux grands projets de construction et compte plusieurs centaines de personnes à ses réunions hebdomadaires.

Quand j’étais jeune, la ligne de démarcation religieuse au Québec était claire. Il y avait une population catholique romaine d’une part et une minorité protestante. Aujourd’hui, nous avons une majorité de Québécois qui se considèrent comme des Catholiques non pratiquants et un nombre croissant d’autres groupes confessionnels. De plus en plus d’Évangéliques mettent leurs ressources en commun afin d’être plus efficaces dans leurs efforts de communication du message de Jésus Christ aux Québécois.

– Pierre R. Bergeron, Directeur – Québec
l’Alliance évangélique du Canada
(The Evangelical Fellowship of Canada)

Autres temps, autres mœurs

Le gouvernement nationaliste de Maurice Duplessis et l’Église catholique faisaient front commun, se souvient M. Foster. L’Église dominait tous les aspects de la société, tout particulièrement l’éducation. Il fallait vraiment comprendre l’histoire du Québec pour constater que ce genre de Catholicisme n’existait nulle part ailleurs qu’au Québec, ajoute-t-il. Pendant quatre siècles, la province avait perçu la Bible comme le livre des Protestants dont il fallait minimiser l’usage.

Les efforts antérieurs pour rapprocher les deux solitudes – notamment la mise en application des études bilingues dans les écoles – avaient souvent mené à l’anglicisation des enfants francophones, explique M. Foster. Cet état de choses entraîna des réactions contre l’anglais et tout particulièrement contre les églises protestantes, par crainte de contamination des valeurs spirituelles et de l’identité culturelle. M. Foster croit que cette crainte a grandement contribué au déclin du mouvement protestant évangélique dans la province.

Mais dans l’après-guerre, quand Charles Foster arriva au Québec, les choses commençaient à changer – et à changer rapidement. Les étudiants commençaient à questionner l’autorité ce qui, au Québec, signifiait l’anticléricalisme envers l’Église catholique, mais aussi la méfiance de tout ce qui était anglais.

Sur le plan spirituel, c’était l’époque de Vatican II (1962–1965) dont les réformes libérales semaient la confusion parmi les Catholiques plus âgés mais qui arrivaient trop tard pour retenir une jeunesse déjà à la dérive. Entre-temps, les Évangéliques commençaient à tisser des liens avec les populations étudiantes, surtout par la Bible. M. Foster se souvient avoir entendu un jeune s’exclamer combien « tout ça est intéressant ». Les jeunes participaient à des études bibliques, découvraient la foi et partageaient ensuite cette foi avec leurs parents.

D’autres Canadiens-français venaient à une église évangélique parce qu’ils avaient rencontré quelqu’un « qui leur avait présenté l’idée d’une nouvelle naissance et d’une nouvelle compréhension de Dieu et de Christ par l’Écriture, dit-il. Une fois qu’ils avaient saisi qui Dieu est, ils étaient personnellement transformés. »

Les 4 conseils de Charles Foster

Les 30 années que Charles Foster a passées au Québec lui ont donné une bonne idée des besoins des Évangéliques qui travaillent présentement au Québec.

  1. Premièrement, il faut « accepter la notion d’une société distincte et d’une culture distincte – de sorte que le leadership de l’église doit être plus authentiquement canadien-français. »
  2. La formation en leadership est cruciale. Durant ses années au Québec – de 1950 à 1980 – il n’est pas le seul à avoir constaté combien il était difficile de trouver des leaders canadiens-français dans les églises. Il y avait bien quelques candidats au leadership formés dans leur église locale et quelques autres ayant suivi une formation théologique postsecondaire, mais il était généralement difficile de trouver des gens ayant suivi la formation nécessaire pour diriger au-delà de la paroisse locale. Il n’y avait donc pas de leadership au niveau de la province.
  3. Il croit également que les églises doivent faire un meilleur travail à reconnaître les dons spirituels de leurs membres. « Quand il y a pluralité d’anciens et une équipe pastorale diversifiée dans une église, l’église s’épanouit. »
  4. Une autre clé est « un évangélisme d’incarnation, c’est-à-dire un message qui se manifeste par l’action, » dit-il. L’église dans laquelle il œuvrait sur la Rive sud de Montréal a connu une bonne croissance à cause de son leadership francophone et de son ministère diversifié, mais aussi à cause de son service auprès de la collectivité locale. « Tout le voisinage était au courant de leur présence à cause de leur participation à l’aide communautaire, aux banques d’aliments et de vêtements et au ministère auprès de familles monoparentales en difficulté. » Selon M. Foster, ce qui importe le plus dans l’évangélisation du Québec contemporain, c’est « d’être prêts à être, non pas des leaders, mais bien des enseignants et des modèles d’une tradition de serviteurs. » AN

 

 

Maintenant : Marc Pilon

Marc Pilon
Marc Pilon

Quand Marc Pilon et une centaine d’autres membres d’une église furent envoyés pour implanter une autre église baptiste à Sherbrooke, au Québec, en 2010, ils ne savaient pas à quoi s’attendre.

« Tout comme des missionnaires outre-mer, nous avons dû étudier la culture et apprendre à connaître nos voisins, comment ils parlent et communiquent entre eux, où ils se situent spirituellement, dit M. Pilon, il nous a ensuite fallu choisir l’endroit stratégique où tenir nos réunions du dimanche et les quartiers où habiter. »

Au moment de leur « lancement » officiel, en janvier 2011, les gens avait acquis « la confiance et l’assurance que s’ils invitaient un ami à venir un dimanche matin, ce serait un pas en avant dans leur propre cheminement, dit Marc. La plupart d’entre nous pouvons parler de Jésus à nos amis, mais les inviter à l’église est une toute autre affaire et nous devons avoir confiance que ce sera un bon endroit pour inviter des amis qui ne vont pas à l’église. »

En ce premier dimanche de janvier, 500 personnes se sont présentées à l’Église21 (ou l’Église pour le 21e siècle). « C’était vraiment quelque chose, dit Marc. Le plus gros lancement d’église de l’histoire du Québec. Nous savions que les chiffres baisseraient à environ 150. Nous ne nous attendions pas à ce que 300 reviennent – la centaine de croyants que nous étions au départ plus 200 non-croyants. »

Trois mois après le lancement, en avril 2011, sept personnes étaient baptisées, dont trois sans antécédents à l’église. En décembre de la même année, 31 autres personnes étaient baptisée, dont la plupart étaient sans antécédents à l’église. L’atmosphère était contagieuse – plus il y avait de baptêmes, plus l’église « jeûnait et priait pour la moisson » dit Marc. Depuis, à quelques mois d’intervalle, plus de personnes ont été baptisées, portant le total à 205 en cinq ans.

Ce qui inspire le plus Marc, ce ne sont pas les chiffres, mais le fait de voit les gens « réorganiser leurs vies autour de l’Évangile. »

Sa propre histoire commence avec le même genre de foi – dans les années 1950 un missionnaire présenta la Bible à sa grand-mère qui, à son tour partagea la bonne nouvelle avec son mari et son fils, le père de Marc Pilon. M. Pilon père alla au collège biblique de Sherbrooke, où il rencontra sa femme et devint pasteur.

Bien qu’élevé dans une église évangélique, Marc Pilon résista d’abord à l’idée d’implanter une église. « Je n’ai jamais été un leader, mais Dieu insistait, pressant sur mon cœur, un peu comme s’il me disait, “Si tu ne le fais pas, tu seras comme Jonas.” »

Comme il l’explique, la plupart des Évangéliques québécois sont venus à la foi dans les années 1970 et 1980, après quoi la croissance s’est arrêtée jusqu’en 2007, quand l’activité missionnaire a repris. À la fin des années 1970, après la Révolution tranquille, la plupart des jeunes s’étaient éloignés de l’Église, surtout de l’église Catholique.

« La plupart des gens d’ici ne vous diront pas qu’ils sont athées, mais la plupart agissent comme si Dieu n’avait aucune place dans leur vie, dit Marc. Ce sont les gens de ma génération et aussi la première génération qui ne peut demander à leurs parents de leur expliquer le sens de la vie parce que leurs parents n’ont pas de réponse et pas d’espoir. Alor que ma génération approche de la trentaine et commence à avoir des enfants, il y a un sens renouvelé de trouver un sens à la vie, mais ils ne savent plus où cherche. »

La société québécoise étant devenue essentiellement séculière, elle met l’accent sur le « matériel, ce qui peut être mesuré en laboratoire. Vous devez donc apprendre à communiquer le non-matériel. Comme le sens de plus de chagrin … que nos âmes souffrent. Je pense que les gens du Québec ressentent vraiment cette douleur. Une fois qu’ils commencent à se l’admettre et à se demander pourquoi ils se lèvent le matin, ils ont trouvé un point de départ. »

Au Québec aussi, dit Marc, c’est exactement comme Jésus l’a déclaré – la moisson est grande mais il y a peu d’ouvriers.

Marc Pilon reconnaît que les besoins sont « astronomiques », surtout en soins pastoraux et livres en français sur la foi. Sachant que le Québec est au bas de liste des dons de charité, les ressources nécessaires ne viendront pas très rapidement de l’intérieur de la province.

Mais l’aide vient de l’extérieur, ajoute-t-il. Les Southern Baptists ont répondu à un appel à l’aide de la Canadian National Baptist Convention (CNBC) et il constate également une « plus grande unité au sein des familles d’églises » et un partage des précieuses ressources.

Ironiquement, bien que la majorité des Québécois aient rejeté le Catholicisme, ils persistent à voir les autres confessions religieuses comme suspectes ou même comme des sectes étranges. Marc Pilon voit de grandes possibilités dans cette « relation amour-haine que les gens du Québec entretiennent avec l’église Catholique. Elle fait tellement partie de qui nous sommes et elle continue de soulever des passions … et je vois le Saint Esprit à l’œuvre dans cette province. »

Alex Newman de Toronto est un écrivain principal pour la revue Faith Today.