Magazines 2020 Sep - Oct Désir d’appartenir

Désir d’appartenir

14 September 2020 By Sherman Lau, avec Celina Lam, Joge Lin et Ted Ng

Comment les chrétiens vivent-ils notre accueil et notre inclusion des minorités?

Traduit par François Godbout. Articles connexes par Joel Gordon et Renée James.

Le 8 juillet 2020, une vidéo d’une diatribe raciste dans un supermarché asiatique en Ontario a été rapportée par diverses agences de presse à travers le pays. Dans cet enregistrement vidéo, l’acheteur déclare : « D’où vient notre virus communiste? De Wuhan en Chine, de vous les gars ».  

Lorsqu’un employé lui demande d’éviter de crier, l’homme répond à plusieurs reprises : « D’où viens-tu, toi? »  

« Je suis Canadien », répond l’employé.

Lorsque l’homme continue de blâmer la « Chine communiste » pour le virus, l’employé répond : « Nous sommes Canadiens, monsieur ».

« Vous êtes canadien? l’homme répond avec incrédulité. Vous êtes aussi canadien que mes fesses. »

En visionnant la vidéo, des sentiments de choc et d’étonnement m’ont envahi, ainsi que de la tristesse pour l’employé.

L’Institut Angus Reid a récemment publié un rapport sur l’impact du racisme anti-asiatique dû à la pandémie de Covid-19 (www.AngusReid.org/Racism-Chinese-Canadians-Covid19).  La plupart d’entre nous ne devraient pas être surpris d’apprendre qu’il y a eu une augmentation significative du racisme anti-asiatique, ce qui a incité le développement de groupes d’action tels que www.ACT2EndRacism.ca.

Selon le rapport, plus de 80 % des Chinois se considèrent comme des Canadiens et sont fiers de leur nationalité ainsi que de leur appartenance ethnique, mais seulement 49 % pensent que les autres Canadiens les perçoivent de la même manière. L’Institut a décrit cette dissonance comme « le désir d’appartenir ».

Conseils pour engager une conversation dans une société multiethnique et multiconfessionnelle

  • Revoyons nos hypothèses sur l’autre personne (les Asiatiques ne sont pas tous nés en Asie).
  • Changeons la façon dont nous nous renseignons sur les antécédents de quelqu’un, par exemple, « Où êtes-vous né et où avez-vous grandi? » ou « Qu’est-ce que vous appelez ‘chez moi’? » au lieu de « D’où venez-vous? » 
  • Soyons sincère dans nos questions – « Quelle a été votre expérience en grandissant (dans votre pays natal)? » ou « Comment a été votre expérience d’immigrer au Canada? »
  • Développons une prise de conscience de nos préjugés inconscients (attitudes et stéréotypes sous-jacents que les gens attribuent inconsciemment à une autre personne ou à un groupe de personnes qui influencent la façon dont ils comprennent et interagissent avec une personne ou un groupe).
  • Disons, lorsque nous sommes confrontés à une coutume ou une pratique inconnue :  « Aidez-moi à comprendre…».
  • Soyons curieux et ouvert.
  • Pratiquons l’hospitalité et accueillons les étrangers dans nos maisons.
  • Apprenons à inclure les autres dans une conversation et ne supposons pas qu’ils vont intervenir ou savoir de quoi vous parlez.
  • Parlons au nom de la minorité silencieuse. - SL

Cette description correspond à mon expérience en tant que membre de la minorité chinoise au Canada, même si je suis prompt à ajouter que je n’ai pas personnellement été victime de harcèlement, d’intimidation ou d’insultes en raison de mon appartenance ethnique. Je vis au Canada depuis plus de 25 ans, mais il y a des jours et des situations où je me sens toujours exclu et je me demande : « Où est-ce que j’aurai un sentiment d’appartenance? » ou « Combien de temps cela prendra-t-il pour sentir que j’appartiens pleinement? » 

D’où venez-vous?

Ted Ng, pasteur principal de la Faith Community Christian Church à Vancouver, a des sentiments similaires à propos de ces questions.

« J’ai grandi à Winnipeg, où je faisais partie d’une minorité perpétuelle. Ma famille fréquentait une église chinoise qui entretenait une bulle confortable de langue et de culture. Cependant, il ne m’a pas fallu longtemps pour réaliser que la société canadienne n’était pas aussi accueillante. Malgré le fait de me faire des amis de toutes les ethnies à l’école, on m’appelait « chink » et on se moquait de mon nom de famille. »

Plus récemment, M. Ng se souvient avoir été interrogé lors d’une conversation informelle sur son pays d’origine. « J’ai répondu que j’étais de Vancouver, mais à l’origine de Winnipeg. Cela ne semblait pas satisfaire mon inquisiteur caucasien. Je veux dire, d’où venez-vous vraiment? a-t-il insisté. C’est alors que j’ai réalisé ce qu’il demandait. En fait, peu importait ce que je disais, depuis combien de temps j’avais vécu ici ou qui j’étais - je ne suis pas vraiment d’ici, je n’appartiens pas vraiment à la société. »

L’appartenance à l’Église chinoise n’est pas non plus automatique, admet Ng. « Alors que la plupart des gens étaient gentils, il y avait ceux qui me méprisaient parce que je ne pouvais pas très bien parler ou lire le chinois. On me disait ‘Tu n’es pas vraiment chinois si tu ne parles pas chinois.’ Je suis donc un étranger perpétuel aux yeux de ceux qui ne me connaissent pas, ne m’acceptent pas ou ne m’aiment pas, qu’ils soient caucasiens ou chinois, dans l’Église ou dans la société. »

Celina Lam est une de mes collègues à Mission Central où elle est responsable du marketing et des communications.

« L’appartenance était un mot lourd pour moi en grandissant, dit-elle. Il était difficile de trouver ma voix et mon identité dans une société qui m’appelait à m’intégrer tout en ressentant la pression de vivre selon les valeurs de mon héritage chinois. »

En tant qu’enfant de parents immigrants qui ont échappé au communisme et trouvé refuge au Canada afin de pouvoir réaliser le rêve nord-américain, Lam admet qu’elle se sentait coincée entre deux mondes, n’appartenant à aucun des deux. « Pour ma famille, je n’étais pas assez chinoise, et pour mes amis, j’étais trop chinoise. »

Dans sa jeunesse, elle se souvient : « Je voulais être aussi éloignée que possible de l’étiquette chinoise. Quand quelqu’un me posait des questions sur mon appartenance ethnique, je répondais : « Canadienne ». Je méprisais les bagages qui accompagnaient le fait d’être identifiée comme chinoise. Les microagressions, le racisme et les fausses promesses d’égalité des chances que j’ai vécues à cause de la couleur de ma peau étaient quelque chose que je voulais changer, mais je savais que je ne pouvais pas. »

Le sentiment d’appartenance, c’est pour quand?

Les expériences de Ng et de Lam soulèvent la question : Quand commence à éprouver un sentiment d’appartenance? Pour moi, cette question est particulièrement importante pour les Chrétiens parce que c’est dans l’Église canadienne que j’ai ressenti des préjugés.

J’en suis venu à m’associer à une assemblée ethnique dont la théologie coïncidait avec la mienne, dans laquelle j’ai été baptisé et me suis marié. J’ai ensuite fréquenté le séminaire de cette confession religieuse pour y être accrédité et y devenir ministre du culte. Cependant, il y avait un fort tribalisme ethnique européen inhérent à cette confession religieuse qui empêchait les étrangers d’influencer le leadership et le développement du mouvement, et finalement je suis parti.

Peut-on dire que j’ai vécu le racisme anti-asiatique dans l’Église? Je préférerais dire que j’ai fait l’expérience d’un tribalisme systémique, qu’en dépit de tous mes efforts pour appartenir, il y avait des préjugés (pas nécessairement uniquement raciaux) qui ne permettaient pas l’inclusion d’autres voix à la table. (Pour en savoir plus sur les différences entre le racisme et le tribalisme, consultez mon article de blogue à www.FaithToday.ca/Systemic.)

Ce pouvoir de la voix majoritaire est problématique pour la plupart des minorités, dit Jorge Lin de Vancouver, pasteur principal de Church for All Nations. Avec tout le racisme anti-asiatique qu’il lit, il se trouve concentré sur les réactions et les commentaires des spectateurs.

Cette mise au foyer procède d’une expérience personnelle - c’est souvent « le silence de la majorité privilégiée qui m’a fait me sentir comme un citoyen de deuxième classe », dit-il.

Par exemple, il se souvient d’une récente promenade avec sa mère. « Nous parlions dans notre langue maternelle, et un individu nous a entendus et a crié : ‘Parlez en anglais!’ Toujours sous le choc, j’ai remarqué que les spectateurs autour de nous restaient silencieux. »

Un autre exemple concernait « un commentaire adressé à moi, en tant que seul asiatique du groupe ». ‘Je pense que les bébés asiatiques ont l’air drôle avec leurs petits yeux bridés. Ils ont l’air de se méfier toujours de tous ceux qui les tiennent’. »  

M. Lin dit qu’il a immédiatement regardé autour de la pièce et a constaté que « certains détournaient le regard tandis que d’autres passaient rapidement à d’autres conversations. Peut-être était-ce la peur de parler qui les a gardés silencieux, mais à ce moment-là, leur silence m’a fait me sentir seul et impuissant ».

En tant que disciples de Jésus, la capacité d’autonomiser et d’aider les autres à se sentir inclus se trouve en chacun de nous. Le théologien Miroslav Volf écrit : « Réclamer le confort du Crucifié tout en rejetant sa voie, c’est prôner non seulement une grâce bon marché, mais une idéologie trompeuse » (Exclusion & Embrace, Abingdon Press, 1996).

M. Lin conclut : « En regardant les nouvelles ces derniers temps, je suis rempli d’espoir quand je vois que la majorité privilégiée reconnaît la nécessité de se tenir aux côtés de ceux qui n’ont pas une voix dominante, tout comme Paul a parlé pour Onésime et a demandé à Philémon ‘de le recevoir comme tu m’as reçu’. Jamais mots plus sages ont été prononcés - car n’est-ce pas vraiment ce qu’est l’appartenance, quand nous apprenons à nous recevoir les uns les autres tels que nous sommes? »

Sherman Lau est responsable chez Mission Central de la collaboration avec les agences. Il est également actuellement étudiant au Western Seminary de Portland, Oregon, dans le cadre du programme de doctorat en études interculturelles. Photo de Sherman Lau : Kyrani Kanavaros.

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